19 août 2006

[DVD] "Panic Room" de David Fincher (par MizAxton)


(Juste pour le plaisir, je vous propose cette semaine mon regard sur un film que j'aime particulièrement défendre )


Divorcée, une jeune femme s’installe avec sa fille dans une nouvelle maison où l’ancien propriétaire avait fait installer une « Panic room », une chambre de survie. Dès le premier soir, 3 inconnus s’immiscent dans la maison…

David Fincher est un réalisateur de l’urgence. Ses films sont des courses poursuites qui ne nous laissent aucun répit, aucun moment pour respirer. A ce titre, « Panic Room » apparaît comme l’aboutissement ou la somme de ses films précédents tant il en reprend les thèmes et les motifs : l’espace oppressant, l’insaisissable visage du bien et du mal, la photographie crépusculaire, la limpidité d’un scénario complexe… Mais là où les films précédents de Fincher débordaient en tout sens comme de méthodiques fourre-tout, Panic Room impressionne par sa concision et par son économie de moyens. Il va directement à l’essentiel, sans jamais s’écarter de son objectif, il est précis, vif, tendu. Dès le générique, on sait que l’on va assister à un film différent. La façon tranchée avec laquelle les noms apparaissent et disparaissent à l’écran nous prépare déjà psychologiquement à l’atmosphère du film. Ensuite, l’introduction rapide, morcelé, sur découpée, nous conduit immédiatement à l’arrivée des voleurs. Dès cet instant, si l’on omet un fondu au noir explicitement elliptique, tout se présente dans l’illusion du temps réel.

Dans ce processus, la façon dont voyage la caméra est fondamentale. L’angoisse et la sensation d’étouffement dépendent directement de la maîtrise avec laquelle Fincher s’approprie l’espace de la maison. En utilisant tantôt un montage exagérément découpé pour filer d’un coin à l’autre, tantôt les travellings et les plans-séquences pour glisser à travers les murs et les plafonds, le réalisateur parvient à nous rendre rapidement familier le lieu de l’intrigue. Pourtant, celle-ci est d’une simplicité effarante : les cambrioleurs sont venus chercher quelque chose qui se trouve précisément dans la pièce où les jeunes femmes se sont réfugiées.

En réalité, le décor va créer un espace dédoublé : la chambre de survie trouve son négatif dans la maison elle-même, verrouillée par les cambrioleurs. Ces 2 lieux face à face fonctionnement comme le reflet l’un de l’autre. En effet, d’un côté les 2 femmes, dans la faible lumière de la chambre aux murs sombres ; de l’autres, les 3 cambrioleurs dans l’obscurité de la maison aux murs clairs. De part et d’autre un même but : faire sortir l’intrus de l’espace convoité. La porte de la Panic Room est d’ailleurs décorée d’un grand miroir et ouvre donc sur une réplique complète et miniature de la maison.

Dans ce jeu de miroir, le rôle des caméras et des moniteurs de contrôle est primordial. Dans la chambre de survie, les 2 femmes observent les 3 cambrioleurs. Eux, sont vus et ne peuvent voir. Les écrans de surveillance les rendent sombres, l’un d’eux cache son visage. Voir et se cacher, c’est-à-dire épier, devient le moteur du film. Le principe est connu : l’acte criminel n’existe qu’une fois vu. Les jeunes femmes ne devaient pas se trouver là ; le crime n’aurait jamais eu lieu, car personne n’en aurait jamais rien su. Le plan est mis à mal par la seule présence inopinée de la femme et sa fille.

De ce fait, le système vidéo devient un enjeu crucial qui accentue l’aspect voyeuriste du film et soutient la tension dramatique alors même que les 2 camps ne sont pratiquement jamais en contact physique ou visuel. Et dans la mécanique de l’image et de son reflet, de l’image et de son négatif, la photographie du film, en antithétique symbiose avec les images des moniteurs de contrôle, remplit un rôle crucial. Ainsi, les cambrioleurs sont noirs (par la peau ou leur cagoule) et les jeunes femmes sont blanches (et blondes). Ce n’est donc pas innocemment que le film ressemble à une partie d’échec, où les pions voyagent et ne se touchent que pour porter un coup fatal. Certains pions sont sacrifiés, et les deux camps multiplient les tactiques et les ruses pour dissimuler leurs attaques et parvenir à tenir l’autre en échec. La froideur réelle de la réalisation nous aide à observer la partie avec impartialité. Il n’y a aucun parti pris, ni devant la maladie, ni devant la violence. La relation étroite qui se lie à distance entre Jodie Foster et Forest Whitaker, couple aussi improbable que pertinent, tient de Hitchcock. On ne peut que souligner l’interprétation toujours justes de ces 2 acteurs, aussi remarquables, quel que soit leur rôle.

Fincher compose un récit, consciemment ou nom, sur le modèle tactique d’un des jeux les plus fascinants qui soit. Et finalement, traiter le huis clos dans un thriller à l’image d’une partie d’échec s’impose comme une évidence. Là où Fincher est impressionnant, c’est que cette partie d’échec n’est, justement, jamais évidente. Rien d’étonnant alors que « Panic Room », soit une telle merveille d’angoisse et de fascination, ni qu’il mette à ce point en évidence l’aliénation visuelle des images, la folie destructrice du joueur qui s’applique à mettre en pièce son adversaire tout en le respectant. En ceci, le film aussi impose le respect.