19 mai 2007

131.8 - Despotine par Izzy


Vous vous souvenez du dernier concours d'écriture à l'initiative de Laelonna? Et bien beaucoup de personnes souhaitaient connaître la suite de l'histoire de Despotine!

En acte I, vous (re)trouverez le premier texte de l'histoire de Despotine, puis dans l'acte II sa suite ;) Bonne lecture :)



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Acte I
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"Despotine faisait et défaisait ses jolies anglaises, seule devant son boudoir style XIXè siècle, se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir faire de cette soirée qui s’annonçait déjà ennuyeuse. Aller dans le village d’à côté pour cueillir quelques roses fraîchement écloses ou encore étudier le comportement stupide des vaches de l’enclos du voisin pour passer le temps ? A vrai dire, elle avait bien besoin de sommeil après cette journée difficile…

9 heures du matin. Despotine s’était levée ce jour-là un peu plus tard qu’à l’habitude car le parquet avait grincé à l’étage du-dessus. Elle s’était bien sûre précipitée pour voir s’il ne s’agissait pas d’un visiteur inopportun, mais rien. Rien, ou presque. Une sorte de gélatine verte gisait sur le sol, sans qu’on puisse dire d’où elle venait.
Despotine plongea son doigt dans la gélatine. Elle osa en goûter un peu, et dut avouer que le goût n’était pas désagréable…Cela avait même un goût fantastique ! Elle alla chercher un pot de crème à la cuisine et ramassa tout ce qu’il restait de gélatine pour le garder dans le pot. Elle n’avait rien goûté d’aussi bon depuis des années ! Et pourtant, le doute restait, d’où venait cette mystérieuse gélatine verte tombée de nulle part ?

11 heures du matin. Despotine devait alors partir au marché pour acheter quelques pommes de terre et une demi-douzaine d’œufs. Elle aperçut alors le vendeur d’aubergines qui paraissait si radieux, si beau en cette journée ensoleillée ! Pourtant, elle s’était jurée de ne pas tomber amoureuse une fois de plus…Et voilà que ça lui tombait à nouveau dessus ! Ses beaux yeux bleus, son sourire ravageur…elle était conquise. Et, ô grande surprise, elle n’eut pas grand-chose à faire pour qu’il la remarque…Elle n’avait pourtant pas fait d’œillades ou de minauderies, et voilà qu’il lui proposait déjà de déjeuner ensemble à l’auberge voisine ! Cette journée s’annonçait riches en surprises…

Midi et des poussières : Le déjeuner était fort délicieux, et le jeune homme fort apétissant, mais Despotine ne se sentait pas bien. La serveuse avait elle aussi décidé de jeter son dévolu sur Despotine et ne pouvait s’empêcher de la complimenter sur son physique dès qu’elle venait débarrasser les assiettes. Et que dire des voisins de table, qui ne pouvaient s’empêcher de la regarder ? Le vendeur d’aubergines s’en trouva si incomodé qu’il laissa la pauvre Despotine toute seule à table – elle dut même payer l’addition ! Elle s’empressa rapidement de rejoindre sa maison car elle n’en pouvait plus d’attirer l’attention de tout le monde.

13 heures 15 : Despotine barra au crayon un jour de plus sur son calendrier. Cela faisait des années qu’elle cherchait l’âme sœur et qu’elle se sentait bien seule…Et les faux espoirs de cette matinée la laissait d’autant plus pessimiste qu’elle était fort exigeante en amour, ainsi qu’en amitié, cela ne faisait que renforcer son désespoir. Elle était perdue dans ses pensées lorsqu’elle entendit le parquet grincer…Mon Dieu ! Quelqu’un se trouvait dans la maison ! Despotine prit avec elle une bougie qu’elle alluma pour gravir les escaliers…Il n’y avait personne…personne…juste un souffle, un vague murmure, quelques objets déplacés…et une photo sur le sol ! Elle regarda attentivement la photo et reconnut alors la Colline des Miracles, un lieu très touristique dans son village, où il est conseillé aux voyageurs de passage de jeter un objet précieux dans la fontaine qui surplombe la colline pour accomplir un vœu…Cette photo était pourtant bien rangée dans ses dossiers, étrange que le vent l’ait fait tomber sur le sol, vu que les fenêtres étaient fermées. Cette journée paraissait bien étrange !

15 heures 45 : Despotine s’était mise à étudier quelques grimoires familiaux concernant les philtres d’amour, espérant y trouver une sagesse ancienne. Rien, il n’y avait rien qui paraissait pouvoir l’aider à surmonter sa dure vie de célibataire ! Et puis, zut, ses mains étaient sans cesse salies par des traces de gélatine verte qui ne voulaient pas s’enlever. Cela collait les pages et elle n’arrivait même plus à décoller certaines pages, ce qui rendait la lecture impossible. Elle monta alors à l’étage pour se laver les mains dans la salle de bains, et, horreur, elle vit son reflet dans la glace : son visage était envahi par la gélatine verte, presque défiguré ! C’était répugnant ! Elle ressemblait à un troll tant cette gélatine hideuse la défigurait ! La seule façon de s’en débarrasser était d’aller à la fameuse Colline des Miracles, l’eau de la fontaine parviendrait sûrement à bout de cette horreur.

16 heures : Après avoir pleuré toutes les larmes de son corps, elle se décida enfin à se rendre à la fontaine. Il y avait là quelques personnes de passage, qui prononçaient silencieusement des vœux tout en jetant une breloque, le portrait d’un être aimé, un bijou ou tout autre objet ayant de la valeur à leurs yeux…
Une vieille dame l’aperçut et éclata de rire :
-Alors, ma douce, tu viens laver tes péchés ?
-Je ne trouve pas cela drôle, rétorqua Despotine. Je viens juste pour laver cette immonde gélatine verte qui me donne des allures de monstre !
-Oh, je vois.
La vieille dame plongea sa main gauche dans la fontaine et ressortit un os – visiblement un os humain – qu’elle présenta à Despotine, qui frissonna :
-Crois-tu vraiment que lancer les os de sa mère décédée dans la fontaine, pour obtenir l’accomplissement d’un vœu, est une attitude digne et respectable ?

Despotine trembla, aux bords des larmes. Oui, c’était bien les os de sa mère ! Elle avait osé, il y avait de cela un an jour pour jour, jeter les os de sa chère mère dans la fontaine pour accomplir son voeur : trouver l’amour !

-Bien, tu ne réponds pas. J’en conclus donc que tu n’es qu’une félonne, une traîtresse pour ta propre famille, une insulte aux traditions les plus antiques ! Crève, petite ordure !

La vieille dame disparut dans un ricanement fracassant de sorcière, et Despotine n’eut que le temps de contempler son reflet dans l’eau de la fontaine : celui d’un troll vert poilu et gluant."

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Acte II
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"La pauvre Despotine était devenue la risée du village : pauvre silhouette désespérée, elle errait parfois dans les prés, au milieu de ses amies les vaches, qui étaient les seules à ne pas être effrayées en la voyant. La peau de Despotine s’était durcie comme du vieux bois, ses yeux rétrécis ne reflétaient plus qu’une humanité vacillante…Pauvre Despotine, elle qui n’avait jamais été la plus belle du village, voilà qu’elle était carrément devenue la plus laide !

C’était encore une de ces journées mornes où elle ressassait les méandres tumultueux de son destin, se demandant pourquoi elle avait passé sa vie seule. Seule, oui, toujours seule, envers et contre tous : ce père qui avait abandonné sa famille pour suivre une courtisane de pacotille, ces garçons du village qui n’avaient jamais eu un regard tendre pour elle, cette mère partie trop tôt…beaucoup trop tôt. Ce village aux mille rumeurs où personne ne connaissait vraiment son voisin, ce village déserté tant été qu’hiver, ce village de damnés où même le facteur n’osait parfois pas passer. La solitude avait marqué sa vie au fer rouge, comme une lourde sanction, la conséquence d’un karma impur…Un karma…ce mot exotique lui effleurait les oreilles et alors elle pensait à toutes ces vies qu’elle avait pu, qu’elle aurait pu vivre : danseuse du ventre vendue à un harem, commerçante endettée réduite à la mendicité, poissonnière sur les quais d’un port vivant et animé, intrigante à la cour d’un prince oublié, grand-mère comblée par ses petits-enfants ou encore alchimiste renommée…Elle souriait bêtement, parmi les vaches, pensant à toutes ces vies d’aventure, où elle aurait volontiers troqué solitude et confort contre reconnaissance des autres et malheur.

Soudain, un cataclysme fit irruption : elle ne pouvait pas en croire ses yeux, le vendeur d’aubergines du village voisin passait devant le pré aux vaches ! Lui, qui l’avait invité à déjeuner, il y a de cela si longtemps…Son cœur emprisonné dans cette cloison vivante qu’était devenu son corps battait la chamade, ses membres frémirent d’une joie inexplicable…Et si elle osait ? Oser quoi ? Mais oser se montrer à lui, pardi ! Qu’importe cette allure de troll, qu’importe cette solitude maudite !

Une vache au regard un peu plus intelligent que celui de ses comparses fixa Despotine et sembla lui adresser un sourire mystérieux, un peu comme quand on veut dire à quelqu’un qui hésite « Vas-y, jette toi à l’eau ! ». C’était décidément trop bête de laisser filer cette chance ! Regaillardie par cette complicité animale, cette complicité entre mauvais karmas, Despotine courut pour rattraper le jeune homme et lui donna une tape sur l’épaule.

Il se retourna et alors…Despotine poussa un cri terrible, son visage barbouillé par des émotions contradictoires : ce n’était pas le vendeur d’aubergines ! Non, ce n’était pas lui ! En face d’elle, se tenait, bien droit dans ses bottes, le fantôme de sa mère, fantôme aux traits doux et pacifistes, aux yeux emplis de larmes, mais au sourire charmeur…D’une voix voilée, la mère-fantôme prit la parole, d’un ton monocorde et grave, message venu tout droit de l’au-delà :

-Je te reconnais bien là, ma fille. Tu as osé te montrer telle que tu étais, tu as appris que l’on ne peut pas éternellement tricher contre sa vraie nature. Et comme ta vraie nature est d’être heureuse, comme j’ai toujours souhaité que tu le sois, depuis ta naissance, je te permets de redevenir cette fille au visage d’ange…Ne doute plus jamais de toi et sache que pour être aimée, il faut s’aimer soi-même.

Le fantôme disparut dans un nuage aux couleurs de l’arc-en-ciel et Despotine sursauta en voyant que ses mains, ses bras, ses jambes étaient redevenues humains ! Quelle joie de pouvoir enfin toucher ce visage aux traits humains, quelle joie de se sentir libre ! Un sourire se dessina rapidement sur ses lèvres et elle crut déceler un clin d’œil de la part de sa vache préférée…"


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Par Izzy-B-ZEN 60560